Auteur/autrice : mea1 (Page 1 of 2)

ACCENTUEZ TOUTES VOS MAJUSCULES, C’EST CAPITAL

On prétend parfois que les accents purement diacritiques peuvent être omis sans dommage sur les majuscules (capitales), car ils ne modifient pas la prononciation et ne fournissent qu’une information superflue. Le cas le plus fréquent est bien sûr la préposition «À» qui, en tête de phrase, ne risque guère d’être confondue avec l’auxiliaire «avoir» (même dans des occurrences comme celle-ci : «A voté ! —
À voir!»). Cette licence est aujourd’hui condamnable, car elle perpétue une exception qui a perdu son alibi technique.

Outre l’orthographe, le défaut d’accentuation met à mal la clarté des messages écrits : 

LE MODELE DU COLON :  le modèle du colon (ou du côlon ?),
ou le modelé du côlon (ou du colon ?).

LES FORBANS SERONT JUGES (juges ou jugés ?)

LE MAGASIN FERME A CAUSE DES EMEUTES (ferme-t-il ou est-il fermé ?)

LES INTERNES DENONCENT LE BEURRE SALE (sale ou salé ?)

UNE VILLE DE CONGRES (congre ou congrès ?)

LE SECRETAIRE D’ETAT CHAHUTE A L’ASSEMBLEE (il chahute ou est-il chahuté?)

UN SOLDAT ASSASSINE SUR ORDRE (assassine ou assassiné ?)

UN ROMAN ILLUSTRE (illustre ou illustré ?)

GARAGES COUVERTS ET FERMES A LOUER (fermées ou fermes ?)

DES ENFANTS SINISTRES, DES PARENTS INDIGNES (sinistres ou sinistrés – indignes ou indignés ?)

JE ME SUIS TUE AU TRAVAIL (tue ou tué ?)

MON BEAUJOLAIS EST LIQUIDE ! (ou liquidé ?)

CHOUETTE NANA, 18 ANS, CHERCHE MEC, MEME AGE. (même âge ou
même âgé ?)

DEVALORISATION DES RETRAITES (ou des retraités ?)

TOUT EST DANS L’ACCENT !

Belles plumes contre écriture inclusive 

L’écriture inclusive parvient à s’infiltrer çà et là, hélas ! Heureusement, des écrivains, des linguistes, des intellectuels et des personnalités de milieux divers se saisissent de leur plume pour argumenter contre cette bizarre invention égalitariste.  Voici un début de florilège.  

Benoît Duteurtre, écrivain, essayiste et musicologue : 
« Car l’écriture prétendument ‹ inclusive › témoigne en réalité d’un grand mépris pour les Français et francophones qui, partout dans le monde, ont en commun une langue forgée par les siècles, avec ses conventions et ses traditions visant la clarté de l’expression. Elle lui substitue une mécanique bizarre, sans principes rigoureux, compliquant inutilement la phrase. 

Pis encore, cette écriture insensée peut se lire… mais pas se dire à voix haute, avec ses points et ses tirets ! Détachée de la parole, elle exclut beaucoup plus qu’elle n’inclut, à seule fin d’entretenir une illusion d’égalité par le graphisme. Hantés dans leurs cauchemars par le fameux ‹ le masculin l’emporte sur le féminin ›, ses promoteurs ignorent la beauté particulière du ‹ neutre › français, inclus dans le masculin, qui tend à élever certaines activités ou fonctions. La grande musicienne Germaine Tailleferre aimait ainsi à se dire ‹ compositeur › plutôt que ‹ compositrice ›, trop réducteur à ses yeux parce qu’il n’y avait, selon elle, qu’un seul et même genre chez les artistes ! » 

« Sous prétexte de progrès, c’est une régression vers un langage enfantin et une sorte de patois séparant la République française de la langue française pratique et universelle. On en oublierait presque que celle-ci s’étend à travers le monde avec des centaines de millions de locuteurs. Ils n’ont aucun besoin des furieux doctrinaires qui, au nom de leurs obsessions, manipulent notre façon de nous exprimer et notre capacité même de dialoguer. » 

« L’écriture exclusive », Carte blanche parue dans l’hebdomadaire Marianne, 19 au 25 mars 2021. 

Mathieu Bock-Côté, sociologue et chroniqueur québécois : 
« L’écriture inclusive, pour sa part, entend moins assurer la visibilité du féminin dans la langue française, ce qui va de soi et s’inscrit dans le mouvement de son évolution naturelle, qu’elle n’entend prendre le contrôle du langage idéologiquement en lui refusant sa part de mystère et son génie. Les tenants du politiquement correct supposent que la langue est absolument transparente, et qu’on peut la déconstruire et la reconstruire au gré de nos désirs politiques en suivant les consignes de l’ingénierie linguistique. La maîtrise absolue du langage et de ses codes donne l’impression de la maîtrise absolue de la pensée. C’est un fantasme de toute-puissance quasi totalitaire qui s’exprime par là et qui ne tolère aucunement la dissidence, dans laquelle on ne veut voir qu’un résidu du passé. L’écriture inclusive veut vider la langue française de ses charmes, de ses nuances et des mots qui ne se laissent pas enrégimenter dans son combat. Faut-il être surpris ? Il suffit aujourd’hui de défendre la grammaire et le dictionnaire pour être classé parmi les conservateurs. On devrait s’en faire un honneur. » 

« Écriture inclusive : l’idéologisation du langage fait déjà des ravages au Québec », Champs libres, Le Figaro, 27 novembre 2017. 

Extraits réunis par Patricia Philipps

Liberté pour « iel »

À la recherche du neutre perdu… Le destin du français serait-il de retrouver ce troisième genre présent dans ses gènes latins ? Le dictionnaire Robert en ligne, sous un déluge croisé de huées et d’applaudissements, vient de faire un premier pas dans ce sens en intégrant le pronom « iel », en usage dans les milieux de la militance non binaire.

Le problème, avec « iel », c’est que ce n’est pas juste un mot autonome, comme « antivax », qui peut entrer ou sortir seul de la langue. Avec ce pronom, c’est tout
un pan de syntaxe qui doit se transformer pour faire place au neutre. Comment
va-t-on l’accorder à l’adjectif ? Au participe passé ? Et les autres pronoms ?
Y a du boulot ! J’avoue que, par curiosité linguistique, je donnerais cher pour voir ça : naissance d’un genre grammatical. Un phénomène rarissime, tellurique !

À quoi ça pourrait ressembler, le français neutrisé ? Le Robert n’en dit rien, mais sur les sites militants, le brainstorming bat son plein. Attention, ça décoiffe !
En vedette, les formes contractées, qui contournent l’épineux problème de la prononciation du point médian : « Iel est acteurice », « Iel embrasse saon freur »,
« Iel a pris eun avo- cax», « Iel est belleau », « Iel lae regarde », « Iel écoute celleux qui chantent ». Et si vous tenez absolument au point médian, le site Wiki Trans vous en propose une pronon- ciation, disons,créative. Au choix : « Iel est fatigaé », 
« Iel est le la meilleureuh (prononcez bien le ‹ h ›) étudiantss »… L’idée, à ce stade, c’est que chacun choisit la variante qui l’inspire. Non sans avoir conclu une sorte de contrat de communication préalable : bonjour, je m’appelle Claude et voici mes pronoms et mes accords d’adjectifs…

Personnellement, je détesterais avoir à exhiber cette espèce de pass linguistique avant d’en venir au fait. Il me semble aussi que les adeptes du « iel » risquent des situations de chaos communicationnel. Mais si ça leur chante, pourquoi pas ? Personne ne peut forcer la route d’une langue. Chacun parle comme il veut,
et on verra bien ce qui restera de tout ça.

Là où je ne marche plus, c’est lorsqu’iel m’explique que la pratique de « dire ses pronoms » devrait être généralisée. Cela pour mettre à l’aise les personnes non binaires. Concrètement, iel m’est demandé, face à tout nouvel interlocuteur, de répéter : Bonjour, je m’appelle Anna, mon pronom est « elle » et j’accorde mes adjectifs bêtement au féminin…

Sérieusement. C’est sans moi. C’est surtout non à ce qu’une minorité dicte ses règles de comportement langagier à la majorité. Liberté pour « iel ». Liberté face à « iel ».

Une opinion d’Anna Lietti, journaliste, publiée le 4 décembre 2021 dans 24 heures

Débat sans fin

Entraîneure ou entraîneuse, c’est aux actrices de choisir

L’Euro 2022 féminin a relancé la discussion : la féminisation des termes footballistiques est une affaire loin d’être résolue.
« La vérité du français est dans son usage ! Et l’Académie française en a un des pires. C’est un club de vieux messieurs, de littéraires et ils n’ont pas les compétences pour faire le dictionnaire. Si vous voulez savoir comment dire le nom des postes des joueuses de football, il n’y a rien de mieux que de leur demander ou d’aller sur un site internet qui s’occupe du sujet. Il n’y a aucun meilleur modèle morphologique. » Daniel Elmiger, de l’Université de Genève, a notamment été l’auteur de Féminisation de la langue française : une brève histoire des positions politiques et du positionnement linguistique en 2011 et son avis sur le sujet est encore davantage éclairé onze ans plus tard. On sent même que le débat l’amuse.

À Sheffield, où l’équipe de Suisse a joué ses deux derniers matches de poules de l’Euro 2022, on a demandé à Noémie Beney, ancienne internationale et consultante pour la RTS, son avis sur une question bête : comment féminiser les termes footballistiques. Son avis est d’autant plus pertinent que la Nord-Vaudoise de 37 ans a travaillé le sujet avant de s’emparer du micro. « Moi je dis entraîneure, avec un e. C’est ce que j’ai écrit sur ma thèse de master. Ensuite : gardienne, défenseuse et défenseure, je dis les deux. OK, je ne vous aide pas beaucoup. Et puis une milieu, une ailière, une attaquante et une buteuse. » On avance. Lentement, mais on avance.

La vénérable Académie française a forcément son avis aussi. Fondée en 1634 par le cardinal de Richelieu avec comme objectif de « contribuer à titre non lucratif au perfectionnement et au rayonnement des lettres », mais aussi de « veiller sur la langue française », elle semble clairement surannée sur le sujet. On peut même la soupçonner d’être un tantinet réactionnaire, quant à l’évolution de l’orthographe. Surtout lorsqu’il s’agit de la féminisation des noms de métiers et de fonctions. Ça tombe bien, elle avait sorti un rapport lors de sa séance du 28 février 2019 et le consulter peut potentiellement faire tourner la tête.

Obsolète avant parution
« Le Dictionnaire de l’Académie française n’a pas pour vocation de recenser la pluralité des usages en train de naître ou de se former, mais de dire le bon usage dès lors qu’il est établi et consacré. Il est toutefois possible que, lorsque la neuvième édition du dictionnaire sera achevée et entièrement mise en ligne, des révisions puissent être apportées pour intégrer des évolutions confirmées. » Autant dire que dans le monde de 2022, avec l’évolution des technologies, de la place des femmes et des mœurs, les Académiciens sont assez rapidement submergés et leur fameux dictionnaire était déjà obsolète avant même sa mise sous presse.

« La commission a estimé qu’elle devait s’abstenir de toute position dogmatique et adopter au contraire une attitude pragmatique en matière de féminisation des noms de métiers et de fonctions dans la langue française d’aujourd’hui, continue le rapport. Elle a d’autre part constaté que l’objet même de sa mission était de se pencher sur la féminisation des noms de personnes et excluait par conséquent toute velléité de remettre en cause les règles générales de fonctionnement de la langue française. » Petite claque à l’écriture inclusive.

En vérité, le monde change et le français aussi, forcément, même si certains sont particulièrement rétifs à cette évolution. Et certaines anecdotes sur la féminisation des mots peuvent prêter à sourire, pour une langue aussi vivante que celle de Molière. « Un linguiste dit l’usage fait par la langue, explique Daniel Elmiger. L’Académie avait raconté à une époque qu’il ne fallait pas dire « pharmacienne » pour cet emploi, parce que le mot voulait dire, pour elle, « femme du pharmacien ». Du coup, moi je pense qu’on peut utiliser « entraîneuse » en 2022 ! Ça semble même devenu courant aujourd’hui. Après, bien sûr, dans votre journal, vous aurez toujours des lecteurs d’un certain âge qui diront que ça ne va pas. »

Demandez autour de vous ! Une personne de moins de 30 ans vous répondra qu’une entraîneuse est une « personne qui, par des exercices gradués, entraîne un athlète, un boxeur, un nageur, une équipe, etc., et les prépare à une compétition ». On a fait le test et c’est vrai. Mais il reste dans les esprits et dans les dicos, qu’une entraîneuse peut aussi être « une jeune femme employée dans les bars, les dancings pour engager les clients à danser, à consommer », comme l’écrit encore Le Robert.

Alors au final, comment faut-il écrire le nom des postes du football féminin ? « Il faut dire la milieu, pour le milieu, termine Daniel Elmiger. Comme la numéro marche aujourd’hui pour le numéro. C’est comme le mot membre, par exemple. Au départ, c’était un nom masculin et on le voit aussi au féminin depuis peu. Ce sont juste des choses qui changent à travers le temps et ce ne sont pas les lexicographes qui font foi. Ce sont les spécialistes elles-mêmes ! Après, c’est vrai, pour le sport, c’est difficile. » Le terrain n’est pas encore complètement défriché.

Robin Carrel, journaliste sportif,
in Le Matin Dimanche du 17 juillet 2022.

S’entendre et se comprendre

Facile ou pas ? Ce qu’il dit est de son ressort, ce que j’entends du mien. Si la responsabilité de la communication est partagée, il n’est pas toujours évident de se mettre d’accord sur la manière de véhiculer les messages de base pour vivre en harmonie. C’est dans l’air du temps, sentons-le, pour voir.

« Iel » dans le Robert l’année passée, de plus en plus de mots et d’abréviations marquant des catégories et des néologismes qui interviennent de plus en plus fréquemment dans le langage courant pour redéfinir des codes que nous pensions ancrés. LGBTQIA+, non binaire, woke, etc., le nouveau champ lexical qui gravite autour du genre est vaste à paître. 

Les correcteurs en souffrent. S’il semble facile d’apprendre par cœur les termes servant l’utilité « tout public », les corriger, les accorder, les insérer dans un système structuré ne l’est pas. Nous cherchions des renseignements sur des termes linguistiques comme décoder, pour tenter de trouver un moyen de rattacher des connaissances vraisemblablement obsolètes à un code linguistique pratique et moderne qui sauverait la situation. Rien. Nous sommes finalement retombés sur le concept de diachronie, qui consiste en gros à suivre les faits de langue dans leur succession, dans leur changement d’un moment à un autre de l’histoire (cf. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage). Alors c’est parti, il nous conviendra d’analyser attentivement les changements diachroniques qui se seront déroulés sur l’axe synchronique du temps (synchronie : le langage fonctionnant à un moment déterminé) pour comprendre avec le recul ce qui advient donc maintenant. Pour autant que l’on parvienne à y comprendre quelque chose. 

Pour comprendre ce que dit l’autre, il faut désormais savoir de quel autre il s’agit. Pour les correcteurs, c’est une tâche en plus qui vient compliquer une approche déjà complexe en elle-même. 

Doit-on garder la règle de l’accord de proximité, qui consiste à accorder le genre et éventuellement le nombre de l’adjectif avec le plus proche des noms qu’il qualifie, et le verbe avec le plus proche des chefs des groupes coordonnés formant son sujet ? Mais quand le sujet n’est pas clair, avec quoi et comment procède-t-on à l’accord ? J’appelle aux témoignages : qui, parmi vous, travaille déjà avec l’inclusif et comment ? Cela intéresse le lectorat du TU

Monica D’Andrea

D’Hastings aux briefings 

Une histoire d’invasions

Les amoureux de notre belle langue française protestent souvent avec raison contre l’usage abusif de mots anglais. Le sabir angloïde que l’on appelle globish, avec tous ses termes récurrents en -ing, les agace. À titre de consolation, rappelons-leur qu’il fut un temps, certes assez lointain, où la langue anglaise empruntait nombre de mots au français, grâce à une célèbre bataille remportée par un farouche duc normand. 

Il faut remonter au XIe siècle pour détailler les circonstances dans lesquelles le français de l’époque a envahi la langue d’outre-Manche. Guillaume Ier mérite bien d’être resté dans l’histoire sous le nom de Guillaume le Conquérant : ce fier et rude duc normand avait sans doute hérité de ses lointains ancêtres vikings le goût de la conquête.

Au cours de la bataille d’Hastings, le 14 octobre 1066, ses troupes vainquirent les Anglais, menés par le roi Harold II, lequel fut victime d’une flèche perdue. Bref rappel historique : la Couronne anglaise était alors très disputée ; une certaine zizanie sévissait au nord de l’Europe entre nobles anglais, nobles anglo-saxons et scandinaves. Les Normands, avec le soutien du roi de France, profitèrent en quelque sorte de la situation confuse pour asseoir leur autorité sur l’Angleterre, grâce à la promesse faite à Guillaume par le roi précédent, Édouard le Confesseur, un Anglo-Normand lié au duc de Normandie Richard II.

Guillaume, une fois installé de l’autre côté de la Manche, partagea le pays conquis entre ses barons et l’organisa à sa façon. C’est ainsi que le français devint la langue de l’aristocratie, de la cour, et aussi celle des tribunaux et des institutions religieuses.

Le lexique anglais a gardé la marque du passage des vigoureux Normands ; pour exprimer une même notion coexistent souvent deux mots.

Quelques exemples :

to gain – to win (gagner)
to finish – to end (terminer)
to conceal – to hide (cacher)
to combat – to fight (combattre)
cordial – hearty (cordial)
economy – thrift (économie)

N’en déplaise aux adeptes du French bashing, les premiers mots cités précédemment, d’origine française, correspondent à des usages plus recherchés ou plus spécialisés, les seconds étant plus couramment utilisés. Impossible de lutter contre le chic français ! Pas rancuniers, les Anglais ont du reste adopté tel quel l’adjectif chic, qui figure dans leurs dictionnaires. Tout comme les écoliers français ont appris en classe que les mots latins avaient été déformés, au fil des ans, par les « rudes gosiers gaulois », les écoliers anglais peuvent découvrir, en cherchant un peu, que les gosiers locaux ont modifié les vocables hérités des conquérants normands, au point de rendre leur origine méconnaissable, celle des formes de l’ancien français tel qu’il était parlé à l’époque en Normandie et en Picardie.

Quand le français dominait l’anglais
Un petit florilège de mots anglais d’origine française :
– fuel (combustible) vient de l’ancien français fouaille (bois de chauffage, tout ce qui sert à chauffer), lui-même issu de fou, forme ancienne de feu. Curieusement, en France, on a « francisé » graphiquement le mot fuel en fioul, ce qui est bien bizarre puisque l’on ne trouve le son ioul écrit ainsi dans aucun autre mot français ; ceux qui ont proposé cette graphie étrange avaient peut-être respiré des vapeurs d’hydrocarbures ou négligé de faire de sérieuses recherches étymologiques…

– toast (tranche de pain grillé) vient de l’ancien français toster, qui signifiait rôtir ;
– mushroom (champignon) vient du français mousseron, qui désigne un champignon des prés bien connu ;
– duty (devoir) vient de dueté, qui est un ancien participe passé du verbe français devoir ;
– bachelor (célibataire) vient de l’ancien français bacheler, issu du latin médiéval baccalarius, qui signifiait serf ou chevalier ;
– budget (budget) vient de l’ancien français bougette, formé à partir de bouge (sac), lui-même issu du latin bulga (sac en cuir) ;
– caterpillar (chenille) vient de l’ancien français chatepelose (poilu comme un chat) ;
– fair (foire) vient de l’ancien français feire, issu du latin feria (jour de repos) ;
– garbage (ordures) vient de l’ancien français gerbage (de jarbe, droit sur les gerbes);
– scarf (écharpe) vient de l’ancien français escharpe (bande de tissu) ;
– blister (blister, emballage pelliculé) vient de blestre (bouton) ;
– tennis (tennis) vient de l’ancien français tenetz (impératif de tenir, exclamation du serveur au jeu de paume) ;
– squat (squat) vient de esquater (aplatir).

On peut découvrir bien d’autres vocables issus d’anciennes formes du français au fil des pages des dictionnaires anglais.

Plus réjouissant encore pour ceux qui aiment brocarder nos voisins d’outre-Manche, souvent ennemis de la France aux siècles passés mais toujours amis de nos vignobles ­– même s’ils ont eu récemment l’outrecuidance de lâchement abandonner le grand vaisseau européen, ce qui ne facilite pas les transits de passagers chargés de bouteilles de part et d’autre du Channel –, le fait que nombre de mots français ont été intégrés tels quels (ou presque, à quelques accents ou traits d’union près) dans le lexique anglais : à la carte, à la mode, beau monde, bête noire, petit bourgeois, café, petit four, comme il faut, faux pas, femme fatale, tête-à-tête, rendezvous, pied à terre, mélange, ménage, métier, milieu, pièce de résistance, précis, etc.

Nous leur pardonnons bien volontiers leur graphie plus insoucieuse des accents et des traits d’union : les Anglais expriment ce faisant leur goût de la liberté et leur 

anticonformisme vis-à-vis des Français cartésiens soumis aux doctes rigueurs orthographiques de l’Académie…

Des accès virulents d’anglomanie
Au XXIe siècle, les conquêtes de Guillaume Ier et les guerres anglo-françaises sont loin ; d’autres envahisseurs nettement moins glorieux ont conquis sans canons le parler actuel : en France sévit une épidémie galopante d’anglomanie ; les « technobranchés » de la start-up nation vantée par le président de la République sont les plus atteints. Rivés à leurs obligations professionnelles au point de ne jamais se déconnecter, influencés par les gourous de l’économie de marché qui encensent l’efficacité anglo-saxonne et la réactivité américaine, ces cadres ou employés soucieux de bien faire adoptent servilement le vocabulaire corporate qui nous vient essentiellement d’outre-Atlantique. C’est ainsi que s’agitent frénétiquement des êtres dépendants de leur appendice téléphonique, courant d’un meeting à un workshop, pressés de regagner ensuite leur module design en open spacepaysager pour l’heure du briefing ; après avoir écouté les conseils antistress du happiness manager, ils suivront une masterclass ou un webinar afin d’apprendre à booster le team building, à assurer un meilleur tracking, à concevoir un teasing pour le nouveau blockbuster, à rédiger un storytelling pour le département gaming en projet…

Cela n’est qu’un petit échantillon de ce que l’on peut constater de l’omniprésence des termes anglais dans les entreprises, dans les médias ou dans certaines conversations des esclaves des Temps modernes traitant leurs affaires dans les transports publics pour ne pas perdre une seconde. O tempora, o mores !

Quant aux institutions européennes, elles se distinguent par une utilisation irrationnelle du globish : situation d’autant plus ubuesque que, à la suite du Brexit, alors qu’il ne reste qu’une petite vingtaine de députés de langue maternelle anglaise au Parlement européen, pour environ quatre-vingts francophones et cent vingt germanophones, on continue de n’y débattre qu’en anglais…

Il est grand temps de relancer vigoureusement le multilinguisme (vingt-quatre langues sont en usage dans l’Union européenne), garant de la diversité, avant que toute l’Europe ne soit aveuglément formatée à la pensée unique « économico-libérale » censée apporter efficacité et rigueur aux populations latines ou slaves, lesquelles sont gaspilleuses, inconséquentes et indisciplinées selon les tenants de l’équarrissage culturel… De modestes avancées ont été constatées sous la présidence française de l’Union européenne lors du premier semestre 2022, mais on attend davantage de fermeté et de motivation politique dans les années à venir. N’oublions jamais que les mots du langage courant ont, à la longue, une influence sur la façon de penser : si nous ne voulons pas bientôt parler comme des chatbots, nous nous devons de défendre avec ferveur et détermination la diversité et la fantaisie. Assez de servilité, de panurgisme et de paresse intellectuelle qui conduisent à jargonner dans un globish au vocabulaire limité et à se complaire dans un conformisme sans imagination ! On empruntera toujours des mots à l’anglais mais, à l’instar des vaillants Québécois, on pourrait s’activer dans des remue-méninges terminologiques pour franciser ces vocables ou leur trouver de bons équivalents français.

Combattre le globish et le franglais
Il ne s’agit pas, en critiquant l’abus d’anglicismes, de s’abandonner à une certaine anglophobie, mais l’intention est de résister à un envahissement incontrôlé. Français et Anglais ont certes eu des différends parfois très guerriers au cours des siècles et se débattent actuellement dans des divergences administratives et diplomatiques sur des sujets comme le drame des migrants qui continuent de se noyer dans la Manche, les conflits entre pêcheurs dans l’Atlantique, la complexité des formalités douanières d’après-Brexit, etc.

Au moins est-il possible de s’entendre sur le plan linguistique et sur l’humour. Le globish n’est pas la langue de Shakespeare, et les Anglais doivent eux aussi défendre leur langue – outil de communication mondial – contre la négligence et l’incompétence de certains locuteurs prétendant maîtriser l’anglais et jargonnant confusément au point de dérouter les interprètes dans les rencontres internationales. L’anglais et le français ont en commun d’avoir fait de nombreux emprunts au latin, notamment dans le vocabulaire juridique ; quantité de mots apparemment communs aux deux langues sont ainsi des mots-pièges par confusion orthographique (comme connection et connexion) ou des faux amis (comme confidence qui signifie confiance, et preservative qui signifie conservateur).

Quant à l’humour, il est apprécié fort heureusement de part et d’autre de la Manche ; qu’il s’agisse d’humour typiquement anglais et d’understatement ou de traits d’esprit à la française, les bons mots sont légion pour s’amuser des mentalités réelles ou supposées des deux peuples.

Quelques exemples :

Si les Anglais peuvent survivre à leur cuisine, ils peuvent survivre à tout.
George Bernard Shaw

L’Angleterre est une ancienne colonie française qui a mal tourné.
Georges Clemenceau

Il n’est pas interdit de penser que, si l’Angleterre n’a pas été envahie depuis 1066, c’est que les étrangers redoutent d’avoir à y passer un dimanche.
Pierre Daninos

L’amour des Anglais pour la liberté se complique d’une certaine acceptation de la servitude d’autrui.
Victor Hugo

Le même écrivain, longtemps exilé dans les îles anglo-normandes, a aussi osé ironiser sur le nom de Shakespeare :
Chexpire, quel vilain nom !
On croirait entendre mourir un Auvergnat.

Pour en revenir aux caractéristiques linguistiques, c’est peut-être un prince royal, député européen pendant vingt ans, qui pourrait mettre d’accord les locuteurs des deux pays :

La langue anglaise est un fusil à plomb : le tir est dispersé. La langue française est un fusil qui tire à balle, de façon précise.
Otto von Habsburg

Tristan Bernard, lui, a émis des doutes sur les compétences des Français quand il s’agit de pratiquer leur propre langue : 
Les Français croient qu’ils parlent le français parce qu’ils ne parlent aucune langue étrangère.

Il est vrai que le bien parler se fait rare sur les ondes et que la presse et l’édition, en dépit des efforts des rares correcteurs qui subsistent çà et là, impriment beaucoup d’horreurs… La maîtrise de la langue française n’est plus ce qu’elle était, hélas ! Des entreprises exigent désormais des nouveaux embauchés la certification Voltaire afin de s’assurer qu’ils seront capables d’écrire correctement. La bataille de la reconquête sera longue, contre les attaques des anglicismes, contre celles de l’écriture inclusive, et contre l’inculture, la paresse et le laisser-aller… La sagesse du poète latin Virgile ne nous fera pas défaut : Labor omnia vincit improbus (Un travail opiniâtre vient à bout de tout).

Patricia Philipps

Sources :
Alain Rey (directeur de publication), Dictionnaire historique de la langue française, Dictionnaires Le Robert, 2010.
Henriette Walter, Le français dans tous les sens, collection La fontaine des sciences, Robert Laffont, 1988.
Véronique Likforman, « Présidence du Conseil de l’UE », revue Défense de la langue française, numéro 284, 2etrimestre 2022.
Erik Orsenna, Bernard Cerquiglini, Les mots immigrés, Stock, 2022.
Alain Sulmon, « Sus aux anglicismes ! », revue Défense de la langue française numéro 283, 1er trimestre 2022.
Philippe Héraclès, Le petit livre des pensées d’humour noir, Le Cherche-Midi, 2008.
abc-citations.com
Wikipédia.

« Older posts