Entraîneure ou entraîneuse, c’est aux actrices de choisir

L’Euro 2022 féminin a relancé la discussion : la féminisation des termes footballistiques est une affaire loin d’être résolue.
« La vérité du français est dans son usage ! Et l’Académie française en a un des pires. C’est un club de vieux messieurs, de littéraires et ils n’ont pas les compétences pour faire le dictionnaire. Si vous voulez savoir comment dire le nom des postes des joueuses de football, il n’y a rien de mieux que de leur demander ou d’aller sur un site internet qui s’occupe du sujet. Il n’y a aucun meilleur modèle morphologique. » Daniel Elmiger, de l’Université de Genève, a notamment été l’auteur de Féminisation de la langue française : une brève histoire des positions politiques et du positionnement linguistique en 2011 et son avis sur le sujet est encore davantage éclairé onze ans plus tard. On sent même que le débat l’amuse.

À Sheffield, où l’équipe de Suisse a joué ses deux derniers matches de poules de l’Euro 2022, on a demandé à Noémie Beney, ancienne internationale et consultante pour la RTS, son avis sur une question bête : comment féminiser les termes footballistiques. Son avis est d’autant plus pertinent que la Nord-Vaudoise de 37 ans a travaillé le sujet avant de s’emparer du micro. « Moi je dis entraîneure, avec un e. C’est ce que j’ai écrit sur ma thèse de master. Ensuite : gardienne, défenseuse et défenseure, je dis les deux. OK, je ne vous aide pas beaucoup. Et puis une milieu, une ailière, une attaquante et une buteuse. » On avance. Lentement, mais on avance.

La vénérable Académie française a forcément son avis aussi. Fondée en 1634 par le cardinal de Richelieu avec comme objectif de « contribuer à titre non lucratif au perfectionnement et au rayonnement des lettres », mais aussi de « veiller sur la langue française », elle semble clairement surannée sur le sujet. On peut même la soupçonner d’être un tantinet réactionnaire, quant à l’évolution de l’orthographe. Surtout lorsqu’il s’agit de la féminisation des noms de métiers et de fonctions. Ça tombe bien, elle avait sorti un rapport lors de sa séance du 28 février 2019 et le consulter peut potentiellement faire tourner la tête.

Obsolète avant parution
« Le Dictionnaire de l’Académie française n’a pas pour vocation de recenser la pluralité des usages en train de naître ou de se former, mais de dire le bon usage dès lors qu’il est établi et consacré. Il est toutefois possible que, lorsque la neuvième édition du dictionnaire sera achevée et entièrement mise en ligne, des révisions puissent être apportées pour intégrer des évolutions confirmées. » Autant dire que dans le monde de 2022, avec l’évolution des technologies, de la place des femmes et des mœurs, les Académiciens sont assez rapidement submergés et leur fameux dictionnaire était déjà obsolète avant même sa mise sous presse.

« La commission a estimé qu’elle devait s’abstenir de toute position dogmatique et adopter au contraire une attitude pragmatique en matière de féminisation des noms de métiers et de fonctions dans la langue française d’aujourd’hui, continue le rapport. Elle a d’autre part constaté que l’objet même de sa mission était de se pencher sur la féminisation des noms de personnes et excluait par conséquent toute velléité de remettre en cause les règles générales de fonctionnement de la langue française. » Petite claque à l’écriture inclusive.

En vérité, le monde change et le français aussi, forcément, même si certains sont particulièrement rétifs à cette évolution. Et certaines anecdotes sur la féminisation des mots peuvent prêter à sourire, pour une langue aussi vivante que celle de Molière. « Un linguiste dit l’usage fait par la langue, explique Daniel Elmiger. L’Académie avait raconté à une époque qu’il ne fallait pas dire « pharmacienne » pour cet emploi, parce que le mot voulait dire, pour elle, « femme du pharmacien ». Du coup, moi je pense qu’on peut utiliser « entraîneuse » en 2022 ! Ça semble même devenu courant aujourd’hui. Après, bien sûr, dans votre journal, vous aurez toujours des lecteurs d’un certain âge qui diront que ça ne va pas. »

Demandez autour de vous ! Une personne de moins de 30 ans vous répondra qu’une entraîneuse est une « personne qui, par des exercices gradués, entraîne un athlète, un boxeur, un nageur, une équipe, etc., et les prépare à une compétition ». On a fait le test et c’est vrai. Mais il reste dans les esprits et dans les dicos, qu’une entraîneuse peut aussi être « une jeune femme employée dans les bars, les dancings pour engager les clients à danser, à consommer », comme l’écrit encore Le Robert.

Alors au final, comment faut-il écrire le nom des postes du football féminin ? « Il faut dire la milieu, pour le milieu, termine Daniel Elmiger. Comme la numéro marche aujourd’hui pour le numéro. C’est comme le mot membre, par exemple. Au départ, c’était un nom masculin et on le voit aussi au féminin depuis peu. Ce sont juste des choses qui changent à travers le temps et ce ne sont pas les lexicographes qui font foi. Ce sont les spécialistes elles-mêmes ! Après, c’est vrai, pour le sport, c’est difficile. » Le terrain n’est pas encore complètement défriché.

Robin Carrel, journaliste sportif,
in Le Matin Dimanche du 17 juillet 2022.