À la recherche du neutre perdu… Le destin du français serait-il de retrouver ce troisième genre présent dans ses gènes latins ? Le dictionnaire Robert en ligne, sous un déluge croisé de huées et d’applaudissements, vient de faire un premier pas dans ce sens en intégrant le pronom « iel », en usage dans les milieux de la militance non binaire.

Le problème, avec « iel », c’est que ce n’est pas juste un mot autonome, comme « antivax », qui peut entrer ou sortir seul de la langue. Avec ce pronom, c’est tout
un pan de syntaxe qui doit se transformer pour faire place au neutre. Comment
va-t-on l’accorder à l’adjectif ? Au participe passé ? Et les autres pronoms ?
Y a du boulot ! J’avoue que, par curiosité linguistique, je donnerais cher pour voir ça : naissance d’un genre grammatical. Un phénomène rarissime, tellurique !

À quoi ça pourrait ressembler, le français neutrisé ? Le Robert n’en dit rien, mais sur les sites militants, le brainstorming bat son plein. Attention, ça décoiffe !
En vedette, les formes contractées, qui contournent l’épineux problème de la prononciation du point médian : « Iel est acteurice », « Iel embrasse saon freur »,
« Iel a pris eun avo- cax», « Iel est belleau », « Iel lae regarde », « Iel écoute celleux qui chantent ». Et si vous tenez absolument au point médian, le site Wiki Trans vous en propose une pronon- ciation, disons,créative. Au choix : « Iel est fatigaé », 
« Iel est le la meilleureuh (prononcez bien le ‹ h ›) étudiantss »… L’idée, à ce stade, c’est que chacun choisit la variante qui l’inspire. Non sans avoir conclu une sorte de contrat de communication préalable : bonjour, je m’appelle Claude et voici mes pronoms et mes accords d’adjectifs…

Personnellement, je détesterais avoir à exhiber cette espèce de pass linguistique avant d’en venir au fait. Il me semble aussi que les adeptes du « iel » risquent des situations de chaos communicationnel. Mais si ça leur chante, pourquoi pas ? Personne ne peut forcer la route d’une langue. Chacun parle comme il veut,
et on verra bien ce qui restera de tout ça.

Là où je ne marche plus, c’est lorsqu’iel m’explique que la pratique de « dire ses pronoms » devrait être généralisée. Cela pour mettre à l’aise les personnes non binaires. Concrètement, iel m’est demandé, face à tout nouvel interlocuteur, de répéter : Bonjour, je m’appelle Anna, mon pronom est « elle » et j’accorde mes adjectifs bêtement au féminin…

Sérieusement. C’est sans moi. C’est surtout non à ce qu’une minorité dicte ses règles de comportement langagier à la majorité. Liberté pour « iel ». Liberté face à « iel ».

Une opinion d’Anna Lietti, journaliste, publiée le 4 décembre 2021 dans 24 heures